Quelle politique agricole pour Haïti ?

Par Colette Lespinasse, article publié le 12 juillet 2017.

Aujourd’hui en Haïti, le mot Agriculture est sur toutes les lèvres.
Après avoir été jeté aux oubliettes pendant longtemps, minimisé dans les
budgets, l’agriculture haïtienne refait surface, du moins dans les
discours. Les décideurs semblent se souvenir de ce secteur qui
représente le plus grand pourvoyeur d’emplois dans le pays. Plus d’un
million de personnes vivent directement de l’agriculture.

Depuis l’arrivée à la présidence de M. Jovenel Moise, tout le monde est
dans l’expectative pour savoir ce qui va vraiment changer dans la vie
des paysans haïtiens, du monde rural et du pays en général, car c’est un
monsieur qui parle beaucoup d’agriculture et qui a commencé à prendre
quelques initiatives dont les objectifs ne sont pas tout à fait clairs.
En tout cas, le budget déposé récemment au Parlement pour l’exercice
fiscal Octobre 2017- Septembre 2018, met l’agriculture en quatrième
position parmi les priorités du gouvernement. Est-ce à dire que le
secteur agricole haïtien sera réellement et définitivement lancé, pour
le bien-être des producteurs, du monde rural et du pays en général ?
Parler de relance agricole en Haïti, aujourd’hui, c’est poser le
problème du choix économique et de modèle agricole le plus approprié
pour le développement du pays. Depuis l’indépendance d’Haïti en 1804,
une lutte sourdine se livre entre deux modèles de production agricole :
une de subsistance qui se pratique sur de petits lopins de terre et qui
sert en priorité à nourrir les familles ; une seconde concentrée sur de
grandes plantations mais qui vise surtout le marché international. Le
pays a ainsi connu de grandes expériences d’agro-business, qui se sont
effacées une fois que le marché international n’était plus demandeur,
tandis que l’agriculture paysanne a survécu et parvient à compenser une
partie non négligeable de la demande alimentaire (40% du marché
aujourd’hui) en dépit de l’augmentation accélérée de la population et
des difficultés du secteur.

Pendant longtemps, les politiques économiques adoptées ont favorisé les
importations au détriment de la production locale. Ce qui a contribué à
affaiblir le secteur agricole et à appauvrir chaque jour davantage la
paysannerie. Les importations moyennes de produits alimentaires tournent
autour de 700 millions de dollars américains par an, tandis que les
investissements dans l’agriculture locale ont été pendant longtemps très
faibles. Alors que les importations alimentaires ne cessent d’augmenter,
la part de l’agriculture dans l’économie n’a fait que diminuer passant
de 46% du PIB en 1970 à 24% en 2016[1].

Sous le gouvernement de Michel Martelly (2011-2015), certains
mégaprojets touristiques et miniers ont mis encore en péril ce qui reste
de l’agriculture haïtienne. En analysant les différents chocs auxquels a
été soumise systématiquement l’agriculture paysanne avec la complicité
de l’Etat haïtien dans beaucoup de cas, Frédéric Thomas du CETRI à écrit
en 2014 un article intitulé « Haïti, un modèle de développement
anti-paysan »[2].

Relancer l’agriculture haïtienne, c’est donc choisir une politique
économique claire et un modèle de production dans lequel seront
canalisées les énergies et ressources en faveur du développement
agricole du pays. Quels sont les cultures que l’on veut promouvoir ? La
tendance semble porter vers le riz pour lequel le pays n’est pas
compétitif alors que d’autres produits de base très consommés sont
négligés. Relancer l’agriculture haïtienne aujourd’hui, suppose donc des
choix qui ne peuvent plus attendre.
Relancer l’agriculture haïtienne, c’est aussi décidé de la place qui
sera accordée à l’agriculture paysanne, base fondamentale du système
actuel en Haïti. Le modèle paysan axé dans sa grande majorité sur de
petites exploitations d’environ 0,25 hectare est en crise. Ses
détracteurs préconisent carrément sa disparition, sans vraiment préciser
par quoi le remplacer.

En tout cas, aucune initiative agricole en Haïti n’est viable si elle
fait l’impasse sur la paysannerie, sur les problèmes environnements
intimement liés aux pratiques culturales et à la tenure foncière. En
raison du rôle stratégique qu’elle joue dans la vie du pays, dans
l’alimentation de la population, en raison aussi du nombre élevé de
personnes qui vivent exclusivement de cette activité, l’agriculture
paysanne représente un élément clé de toute politique économique qui
vise le développement réel d’Haïti. Dans quelle direction va Haïti
aujourd’hui ? Les acteurs du monde rural et les institutions
d’accompagnement des paysans ont, dans ce contexte, du pain sur la planche.

[1] PAPDA/GRAMIR, Aout 2015, Kaye Revandikasyon Peyizan ak Peyizàn yo
Rejyon Gran Sid
[2] Frédéric Thomas/CETRI, 2014 : Haiti, un modèle de Développement
Anti-Paysan